MÉMOIRE 1 DU FACE OF POVERTY CONSULTATION

Les budgets de l’État doivent chercher à financer les programmes qui répondent aux besoins prioritaires des Canadiens et à assurer la capacité de l’État à financer ces programmes.

Malheureusement, le mandat des consultations prébudgétaires 2012 est de pratiquer des compressions pour équilibrer le budget sans hausses d’impôts. Cela est malavisé étant donné que 1) quantité de programmes importants doivent être élargis; 2) il n’existe actuellement aucune raison économique ou sociale pour retrouver rapidement un budget équilibré; 3) les réductions d’impôt dont bénéficient certains continuent de réduire la capacité de l’État à refléter les valeurs et à répondre aux besoins des Canadiens.

Les députés doivent se demander comment il se fait que l’économie, avec un revenu par tête qui a doublé au cours des 35 dernières années (Finn, 2011), ne peut plus se permettre les programmes de périodes antérieures moins prospères.

Pourquoi maintenant?

Les Canadiens demandent-ils que l’on pratique des coupures dans les programmes ou dans les impôts? Non. Depuis des décennies, les sondages démontrent que nous sommes prêts à payer des impôts plus élevés pour bénéficier de services publics améliorés, en particulier au chapitre de la santé, de l’éducation et de l’aide sociale. Ce qui nous préoccupe à propos des impôts, c’est l’iniquité croissante du régime fiscal. Les impôts se sont déplacés des sociétés vers les gens et des riches vers les pauvres (Lee, 2007). Ce sont les réductions d’impôts (et non pas les programmes sociaux) qui ont été et qui sont essentiellement responsables des déficits budgétaires et de l’explosion de la dette (Mimoto et Cross, 1991).

Les réductions et les budgets équilibrés sont-ils indispensables à la promotion de la croissance économique? Non. La crise financière de 2008 prouve clairement que des marchés déréglementés peuvent entièrement chambouler l’existence des gens et qu’un gouvernement dynamique est donc indispensable. Étant donné qu’une autre contagion financière compromettrait la capacité d’autres pays à acheter des exportations canadiennes, ce n’est pas le moment de réduire la taille du gouvernement.

Nos déficits menacent-ils la compétitivité internationale du Canada? Non – Le déficit / la dette du Canada font l’envie de la plupart des pays. La dette des gouvernements canadiens (dont 60 % est constitué par la dette des provinces) par rapport au PIB et de 33,7 %, soit moins de la moitié de celle des États-Unis et à peine 54 % de la moyenne des pays de l’OCDE (Jackson, 2011). De plus, les déficits de l’État en proportion du PIB sont plus faibles et reculent plus vite au Canada que dans la moyenne des pays de l’OCDE ou qu’aux États-Unis, qui est notre principal partenaire commercial.

Jackson fait observer que notre taux de chômage « réel » -- ajusté en fonction des personnes qui ont quitté les rangs de la population active et des travailleurs à temps partiel involontaires – était de 10,7 % au mois de juin. La réduction des dépenses de l’État prive les Canadiens de services dont ils ont besoin et affaiblit une économie déjà fragilisée.

Faible imposition – Par rapport à quoi?

La question n’est pas de savoir « Les impôts sont-ils trop élevés? » mais « À quels besoins mes impôts subviennent-ils? ». Les impôts sont le prix à payer pour une société civile.

Au Canada, les impôts ne sont guère élevés selon les normes internationales, nous sommes au milieu de la meute des pays de l’OCDE. Même si les taux d’impôt sont plus élevés qu’aux États-Unis, nos impôts couvrent une grande partie des coûts de l’assurance-maladie; lesquels sont essentiellement des dépenses privées aux États-Unis. Tous les Canadiens sont protégés par des soins de santé financés par les deniers publics alors qu’un Américain sur sept est sans assurance-maladie! De plus, la médecine pratiquée au Canada est généralement supérieure – même Cuba à un taux de mortalité infantile plus bas que celui des États-Unis. Les pays de l’OCDE, dont les impôts sont plus élevés que les nôtres en général, financent mieux l’éducation, la formation, l’aide sociale et l’environnement, mais ils ont également tendance à surclasser l’économie canadienne.

Bien sûr, le point de repère du Canada pour de nombreuses comparaisons, ce sont les États-Unis. L’imposition des bénéfices des sociétés est plus faible qu’aux États-Unis. Comment se fait-il que les gouvernements fédéral et provinciaux prétendent que nous devions réduire l’impôt sur les bénéfices? Les réductions du taux d’imposition des sociétés ne viennent pas à la rescousse des compagnies américaines. Les impôts canadiens des filiales américaines peuvent servir de crédit d’impôt sur les impôts des bénéfices de la société mère américaine. Ainsi, chaque dollar de moins qu’elles paient au Canada est un dollar de plus dans leurs impôts sur les bénéfices aux États-Unis et le bénéficiaire de nos réductions d’impôt est le trésor américain! Le gouvernement canadien perd des recettes, mais les sociétés s’attendent toujours à recevoir des aides à l’investissement, aux infrastructures, à l’éducation publique et aux soins de santé de la part de l’État.

Depuis des décennies, les réductions d’impôt des particuliers ont privilégié les riches. Mais ce sont les mêmes riches qui ont le plus profité de la croissance économique, en particulier la tranche supérieure de 10 % de ceux qui touchent un revenu. Le résultat est que la tranche de 5 % des plus riches Canadiens paie aujourd’hui environ la même part de leur revenu que la tranche de 10 % des plus pauvres, et moins que les Canadiens à revenu moyen (Lee, 2007).

Cette érosion de l’équité fiscale est le fruit d’un déplacement de l’imposition loin de l’impôt sur le revenu, qui est notre seul impôt progressiste, et la dilution de la progressivité de l’impôt sur le revenu proprement dit. La « réforme » de l’impôt sur le revenu a éliminé les tranches d’impôt supérieures et a accordé des exonérations à certains types de revenus – les revenus que touchent essentiellement les riches.

Les programmes de déduction d’impôt et de crédit d’impôt, comme le REER et le crédit d’impôt pour la condition physique des enfants bénéficient aux personnes à revenu élevé dans des proportions démesurées.

Les retenues à la source privilégient les riches, car elles ont pour effet de réduire le montant imposé au taux le plus élevé. Par ailleurs, les riches touchent des revenus suffisants pour profiter du maximum alors que les Canadiens à faible revenu consacrent pratiquement tous leurs revenus aux produits de première nécessité. En 2007, deux tiers de la tranche supérieure de 2 % des contribuables canadiens ont réclamé des déductions au titre d’un REER, contre à peine un quart de tous les déclarants. Cette tranche supérieure, dont les revenus se chiffrent à 150 000 $ et plus, ont réclamé 18 % des déductions au titre d’un REER, soit neuf fois leur part de la population (ARC, 2010)[1].

Un crédit d’impôt applique le même taux d’imposition à tous. Toutefois, les Canadiens à faible revenu sont moins en mesure et moins incités à y participer, car ils ne peuvent pas obtenir l’épargne fiscale maximale sur des crédits d’impôt non remboursables. Ainsi, une famille à revenu élevé peut se permettre d’inscrire ses enfants à des programmes sportifs et à réclamer tous les crédits d’impôt sur son impôt sur le revenu; les pauvres ne peuvent faire ni l’un ni l’autre. Si les crédits d’impôt étaient remboursables, les Canadiens à faible revenu seraient moins défavorisés[2].

Bien entendu, les REER ne font que différer, mais abaissent effectivement les impôts alors que les comptes d’épargne exonérés d’impôt permettent d’éviter intégralement l’impôt sur le revenu, et les recettes ainsi perdues ne seront jamais connues, à moins que les gouvernements n’exigent des renseignements sur le capital et les rendements au moment des retraits autorisés. Un cadeau flagrant qui est fait aux riches est le taux « d’inclusion » de 50 % pour les gains en capital. Seule la moitié des gains en capital doit figurer comme revenu imposable. En 2007, la tranche supérieure de 2 % de Canadiens ont déclaré 64 % de tous les gains en capital – soit 32 fois leur pourcentage de la population. Si tous les gains en capital étaient imposés pour ceux dont le revenu est égal ou supérieur à 150 000 $, le gouvernement fédéral en 2007 aurait engrangé trois milliards de dollars de plus! Le fait de réduire le taux d’inclusion de 75 à 66, puis à 50 % est un exemple manifeste de la façon dont la progressivité du régime d’impôt sur le revenu a été reniée et dont on a perdu des recettes fiscales. De même, les REER ont entraîné une perte de recettes fiscales de la tranche supérieure de 2 %, perte qui s’est chiffrée à environ deux milliards de dollars en 2007[3]. Étant donné que la plupart des provinces acceptent les programmes du fédéral, les recettes provinciales augmenteraient d’environ 45 % si l’on modifiait l’imposition des REER et des gains en capital.

Qu’obtiennent les Canadiens pour les impôts qu’ils paient? Nous obtenons des soins médicaux et un système d’éducation dont nous avons tout lieu d’être fiers, mais également tout lieu de nous inquiéter. Nos régimes d’aide sociale sont anémiques par rapport à de nombreux pays européens. Une bonne part de nos infrastructures doivent être améliorées et agrandies, notamment les habitations abordables et des garderies. Nous avons besoin d’assainir les dégâts causés à l’environnement par le passé et nous avons besoin de politiques pour passer à une économie écologiquement durable à l’avenir. La réduction par les gouvernements de 43 % du budget de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (Lesley, 2011) est précisément l’approche à ne pas suivre. Nous avons besoin d’un gouvernement élargi et non pas rétréci.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de marge pour opérer certaines coupures. Alors qu’il est nécessaire d’améliorer les salaires de nos soldats et l’aide de nos anciens combattants, il ne semble pas y avoir la moindre raison de consacrer des milliards de dollars à des chasseurs bombardiers « haut de gamme » -- pourquoi la défense du Canada a-t-elle besoin de bombardiers? Ou pourquoi devons-nous subventionner les combustibles fossiles, comme les sables pétrolifères, ou l’énergie nucléaire, au lieu d’encourager les énergies renouvelables de rechange qui peuvent souvent être produites et utilisées?

Assurer la relance soutenue de l’économie

La relance de l’économie sera fragilisée par la réduction des dépenses consacrées par l’État à l’économie. L’un des objectifs du budget doit être la santé de l’économie réelle – son aptitude à subvenir à nos besoins. Or, on attache trop d’importance aux indicateurs financiers volatiles et secondaires comme le prix des actions et le rapport entre la dette et le PIB.

Les dépenses consacrées par l’État aux infrastructures sont importantes pour la création d’emplois à moyen terme et pour répondre aux besoins à long terme. Toutefois, l’impact à court terme est relativement minime, surtout pour les plus vulnérables de nos collectivités. Les programmes d’infrastructures visant à venir en aide aux plus vulnérables, comme les logements abordables et l’agrandissement des réseaux de transport en commun interurbains, doivent se voir accorder la priorité.

L’amélioration du soutien de l’État, comme l’aide sociale, met directement de l’argent entre les mains des plus vulnérables qui le dépensent immédiatement, générant ainsi une demande de produits et de services ainsi que d’emplois qui les fournissent. Cela exige de hausser les fonds versés aux provinces. Même si l’assurance-emploi vient plus en aide aux non-pauvres qu’aux pauvres, elle doit permettre d’avoir plus facilement accès à des niveaux de soutien plus élevés.

Créer des emplois durables et de qualité

Pour créer des emplois durables et de qualité dans une économie écologiquement durable, il faut une population active en pleine santé, mieux instruite, plus qualifiée et fortement motivée. Il faut un certain niveau de certitude à la fois pour la main-d’œuvre et pour les entreprises pour qu’elles investissent respectivement dans l’éducation et dans de nouveaux capitaux. Il faut des activités de recherche-développement pour produire avec efficacité les biens et les services afin de subvenir à nos besoins futurs.

Beaucoup pensent que les investissements étrangers massifs sont nécessaires, mais c’est une épée à double tranchant. Les investissements directs étrangers (IDE – là où une entreprise étrangère contrôle une société canadienne) sont un remède « rapide », mais qui ne crée pas nécessairement la conjoncture propice à la création d’emplois durables. Une entreprise étrangère qui s’implante au Canada peut réagir aux subventions, mais ne pas avoir de connaissances sur nos ressources et nos institutions et par conséquent importer à la fois ses capitaux d’amorçage et ses fournitures d’exploitation. De plus, notre dépendance passée à l’égard des investissements étrangers explique une bonne partie du volume limité de R-dans le secteur privé au Canada. Les recherches universitaires et gouvernementales continuent d’être importantes.

La dépendance à l’égard des investissements étrangers ne fait qu’accroître l’incertitude et l’insécurité. Un emploi dans des filiales étrangères a tendance à être plus volatile lors d’une récession, et les entreprises attirées au Canada par les subventions sont également plus susceptibles de s’en aller lorsque des subventions plus élevées leur sont offertes ailleurs.

C’est pourquoi notre objectif ne doit pas être d’attirer des entreprises étrangères ou de multiplier nos exportations. Après tout, la raison pour laquelle nous avons besoin d’exportations est le financement de nos importations. Nous avons besoin d’importations, car nous ne sommes guère efficaces à produire ces biens – pourquoi pas?

L’objectif qui consiste à créer des emplois durables et de qualité doit être de savoir comment subvenir aux besoins des Canadiens, en particulier des Canadiens les plus vulnérables. Nous pouvons subvenir à nos besoins directement, en produisant les biens et les services au Canada. Ou nous pouvons subvenir à nos besoins indirectement, en exportant nos produits à l’étranger et en important ceux dont nous avons besoin. Lorsque nous subvenons à nos besoins directement, nous devenons plus experts dans ces secteurs et pouvons les développer pour qu’ils deviennent des marchés d’exportation. C’est pourquoi à condition de subvenir à nos propres besoins, nous pouvons exporter davantage – les exportations sont une mesure de notre succès, non pas sa source.

En bref, le gouvernement doit en faire plus, pas moins. Cela vaut pour le court terme, face à l’instabilité financière internationale. Cela vaut également pour le long terme en raison du besoin d’inverser la tendance au creusement des iniquités de revenu qui résultent dans une large mesure des politiques fiscales qui privilégient les Canadiens les plus riches. Pourquoi ne pas exhorter tout le monde à se serrer la ceinture ou à attendre moins du gouvernement. Ceux qui ont bénéficié le plus doivent se serrer la ceinture, mais de nombreux Canadiens méritent plus d’occasions de subvenir à leurs besoins. Une économie durable plus compassionnelle est tout à fait possible.

Recommandations

L’analyse ci-dessus se traduit par une foule de répercussions et de recommandations. Puisque l’on nous demande de n’en formuler que trois, voici les nôtres :

1.    Réduire et éliminer les dépenses fiscales des particuliers, par exemple, les gains en capital et les REER, et des sociétés, comme les subventions pour les combustibles fossiles.

2.    Utiliser les dépenses consacrées aux infrastructures pour qu’elles profitent directement aux citoyens les plus vulnérables, c’est-à-dire des logements abordables, des garderies.

3.    Grandement améliorer les programmes de soutien du revenu. Un revenu annuel garanti est ce qu’il y a de mieux, mais il y a d’autres mesures comme le remboursement des crédits d’impôt et l’augmentation des transferts aux provinces, désignés pour la santé, l’éducation et l’aide sociale.

Bibliographie

Agence du revenu du Canada, 2010. Basic Table 2: All returns by total Inc. class, All Canada www.cra-arc.gc.ca/gncy/stts/gb08/pst/fnl/html/tbl2-eng.htm, consulté le 10.08.11

Finn, Ed, 2011. « Canada can easily afford to create a truly just society ». Ottawa, The CCPA Monitor. Centre canadien de politiques alternatives, février, p. 4. Consulté le 12.08.11 http://www.policyalternatives.ca/publications/monitor/no-excuse-inequality-0

Jackson, Andrew, 2011. Public Sector Austerity – Why is the Government Leading the Way? progressive-economics.ca/2011/08/03/public-sector-austerity-why-is-canada-leading-the-way, consulté le 07.08.11.

Kierans, Eric W., 1973, Report on natural resources policy in Manitoba, for the Secretariat for Planning and Priorities Committee of Cabinet, Government of Manitoba.

Lee, Marc. 2007. Eroding Tax Fairness: Tax Incidence in Canada, 1990 to 2005. Ottawa, Centre canadien de politiques alternatives, consulté le 10.08.11 à l’adresse www.policyalternatives.ca/sites/default/files/uploads/publications/National_Office_Pubs/2007/ Eroding_Tax_Fairness_web.pdf

Leslie, Megan, 2011. « Time to shift focus of government's initiatives from big oil to renewable and conservation technologies. » The Hill Times, 8 août, www.thehilltimes.ca/page/view/leslie-08-08-2011, consulté le 10.08.11.

Mimoto, H. et P. Cross. 1991. « The Growth of the Federal Debt ». Canadian Economic Observer, juin, p. 3.1 à 3.9.

Weir, Erin, 2009. « The Treasury Transfer Effect - Are Canada’s Corporate Tax Cuts Shifting Billions to the U. S. Treasury? Behind the Numbers ». Ottawa, Centre canadien de politiques alternatives, vol. 10, no 7. Alternativeshttp://www.policyalternatives.ca/sites/default/files/uploads/publications/news/docs/Treasury%20Transfer%20Effect.pdf. Consulté le 12.08.11.


[1] Bien entendu, les REER ne font que différer, mais abaissent effectivement les impôts alors que les comptes d’épargne exonérés d’impôt permettent d’éviter intégralement l’impôt sur le revenu, et les recettes ainsi perdues ne seront jamais connues, à moins que les gouvernements n’exigent des renseignements sur le capital et les rendements au moment des retraits autorisés.

[2] Remboursable signifie que quelqu’un qui a droit à un crédit d’impôt de 500 $ mais qui ne paie que 300 $ d’impôts aura droit au remboursement de la différence, soit 200 $.

[3] Un traitement fiscal spécial, connu également sous l’appellation de « dépenses fiscales » car elles affectent autant le budget de l’État que les dépenses, est également accessible aux entreprises à une échelle massive. Kierans (1973) a estimé que ces concessions réduisent les impôts perçus sur les bénéfices des grandes sociétés (dont au moins la moitié sont étrangères) à environ le tiers de leur niveau nominal, mais qu’elles valent très peu pour les petites entreprises (principalement canadiennes). La réduction des dépenses fiscales des entreprises aurait pour effet de majorer les recettes de l’État.